Bonjour Prisca, est-ce que vous pourriez vous présenter ?
Je m'appelle Prisca Razafindrakoto, j'ai 26 ans. J'ai une double casquette : artisane d'art, spécialisée dans le travail du métal et designer. J'ai monté mon atelier fin 2019 à Villejuif en région Parisienne où je me consacre à la conception et à la fabrication de mobiliers et d’objets sur mesure.
Quelle est votre pratique et depuis quand y travaillez-vous ?
Je suis artisane d'art et designer depuis 2019
Comment êtes-vous arrivée là ?
Mon parcours débute à l’Ensaama Oliviers de Serres à Paris. Au terme d’une formation en design de produits, j’ai découvert l’art de la dinanderie et le travail de la tôle à l'atelier métal de l'Ensaama. La dinanderie consiste en la mise en forme de la feuille de métal au marteau par le biais de différentes techniques comme l’emboutissage, la rétreinte ou encore l’allongement. Stupéfaite de la qualité sensible et délicate de cette technique, j'ai choisi de me tourner vers les Métiers d’Arts et j'ai intégré l’Atelier Métal. J'avais trouvé le médium qui me permettrai par la suite d'expérimenter et de traduire toutes mes idées. J'ai notamment été frappée par la douceur de ce matériau. Cette formation m'a également apporté des connaissances techniques qui me semblent aujourd'hui essentielles dans la conception d'un objet. J'ai donc passé 5 ans à développer ma démarche entre artisanat et design. Après l'obtention de mon diplôme, j'ai d'abord fait mes premières armes en tant que technicienne d'atelier aux Ateliers Synapses (atelier de fabrication en région Parisienne) . Durant 2 ans, j'y ai affiné mes compétences techniques au travers de projets allant du design d’objets à l’architecture d’intérieur. Puis à l'issue de cela j'ai fait le choix de me lancer dans l'aventure et de monter mon atelier à Villejuif.
Quels sont les médiums que vous utilisez ?
Si je devais choisir un outil de prédilection au sein de l'atelier, j'élirais sans aucun doute mon TIG. C'est une machine qui permet de souder les métaux via un arc électrique. lorsque je m'en empare, j'entre dans une phase de méditation. La soudure au TIG est silencieuse, délicate et hyper précise. C'est un plaisir à pratiquer, surtout sur du cuivre. Ce qui me permet d'enchainer sur mon médium de prédilection. Le cuivre est le métal que je travaille le plus. D'abord parce qu'il est ultra malléable, ensuite parce qu'il est extrêmement agréable à souder, enfin et surtout parce qu'il propose un nuancier de couleurs extraordinaires. Ce sont des couleurs auxquelles je suis très sensibles : elles sont étonnantes, chaleureuses et positives !
Qu'est-ce qui définit votre travail ?
Mon travail se développe autour de deux axes : le métal gonflé et le métal coloré. D'une part, Under Pressure est une série de mobiliers contemporains questionnant les procédés de mise en forme et leurs impacts sur la matière, tant dans leur dimension formelle qu’esthétique. J’utilise un procédé issu de l’industrie automobile, l’injection d’air pressurisé. Cela me permet de mettre en forme mes objets en faisant gonfler le métal. Compressée, déformée, la tôle adopte alors une forme vivante et dynamique. Durant la conception de mes objets, je me laisse surprendre par les déformations singulières provoquées par cette technique. Ce processus, de par sa nature aléatoire, fait de chaque pièce un produit unique. D'autre part, La couleur de chauffe est une couleur obtenue en chauffant la tôle à la flamme. Cette technique accélère l’oxydation du métal ce qui permet d’obtenir des nuances allant du gris perlé au fuchsia, en passant par le jaune ou encore l'orange. À chaque température sa teinte, à chaque métal son nuancier, ce qui offre une multitude de possibilités colorées pour une même pièce.
Travaillez-vous sur d'autres projets extérieurs ?
Je ne réalise pas seulement des pièces pour mes collections. Je travaille également main dans la main avec des architectes et designers et les aide à concrétiser leurs projets. Ces collaborations sont à chaque fois de nouveaux défis conceptuels et techniques ce qui me permet en parallèle de nourrir et de faire évoluer ma démarche.
Une création pour nous faire rentrer dans votre univers ?
Les guéridons 'Contemplation'. À l’image des tables gigognes, ces guéridons s’imbriquent les uns dans les autres. Le piétement en acier a un dessin fin et minimal afin de mettre en valeur les courbes du plateau en cuivre. Il est habillé d’une patine noire, puis protégé avec une cire mate tandis que le plateau est poli miroir. Ce dernier est gonflé sur son piétement et en prend donc l’empreinte afin de se caler parfaitement dessus. J’ai choisi pour ces pièces de conserver la valve par laquelle j’ai injecté l’air pressurisé, tel un fragment, une signature. Elle est un artéfact racontant la genèse de la formation des plateaux et invite à se questionner sur le système de mise en forme de l’objet. Concernant la finition, j’utilise une technique très particulière pour obtenir la couleur des plateaux. Il s’agit de couleurs de chauffe que l’on obtient en passant les plateaux à la flamme. Ces couleurs saisissantes qui varient selon l’éclairage et le moment de la journée, donnent vie à l’objet.
Pouvez-vous nous parler de votre processus de création ?
Je me plais à passer par l'illustration avant même de penser à la conception de mes objets. Souvent, cela me permet de poser mes idées en termes de formes mais surtout de couleurs. Puis je vogue entre logiciels 3D et travail d'atelier. Cet aller-retour constant est au cœur de ma démarche. La recherche au sein de l'atelier consiste d'une part à explorer le potentiel du système de mise en forme 'underpressure' et de l'adapter au design mais aussi à la sculpture. D'autre part je développe la gamme de couleurs de mes objets et tente de rationaliser le principe de 'couleurs de chauffe' en déterminant la température et le temps de cuisson de chaque couleur, ce qui me permet de proposer un nuancier de couleurs plus précis et plus diversifié.
Quelles sont vos sources d'inspiration? Comment arrivez-vous à rester créative ?
D’origine Franco-Malgache, le métissage des cultures est au coeur de ma démarche et génère un langage de formes entre surréalisme et minimalisme. Je trouve de l’inspiration à la fois dans les arts tribaux, que je côtoie aux travers de mes voyages en Afrique, mais aussi dans des mouvements comme les Arts Déco ou encore le Bauhaus. Ce métissage est également un métissage des pratiques. Je joue avec les limites sémantiques de l’objet et inscrit mon travail à mi-chemin entre sculpture et design. Je trouve donc du plaisir à me perdre dans des galeries présentant des artistes à la démarche purement sculpturale, comme je suis très curieuse également de participer à des événements comme la Design Week.
Quels sont vos futurs projets ?
Je travaille actuellement sur une sculpture monumentale pour un château à Biarritz. Et en parallèle je réalise des luminaires pour un restaurant dans le 15e. Encore une fois, on retrouve dans mes projets cet aller-retour entre sculpture et design qui me plait tant.
Selon vous quel rôle est celui d'un artiste (designer ou artisan) dans le monde d’aujourd’hui ?
Chaque artiste apporte sa petite pierre à l'édifice. je crois que nous ne pouvons pas vraiment prétendre à un rôle en particulier. En revanche je pense que chaque être humain se donne une sorte de mission. Certain vont vouloir rendre le monde meilleur en traitant de sujets comme l'éco-conception, le made in France, le circuit court. Pour ma part, j'essaye juste d'apporter un peu de beau dans ce monde, à mon échelle. J'utilise toute ma sensibilité que je sème via mon travail. La couleur est ma manière à moi de rester positive dans un monde qui, il faut se l'avouer, peut être très anxiogène. La recherche du beau c'est un peu ma thérapie. Et puis, je reconnais que quelque part, travailler dans le monde du métal, bousculer les a priori qu'on peut avoir sur ce matériau que l'on imagine très masculin de prime abord, c'est un peu ma manière à moi de protester et de faire avancer les mentalités. C'est ma petite pierre à l'édifice.
De quoi vous ne pourriez plus vous passer ?
De ma liberté de créer, de mon atelier et surtout de l'accès à la culture. Les expos, les salons, les rencontres. Ce sont des vecteurs fondamentaux dans mon processus créatif.
Ton Artiste (ou designer / artisan) préféré ?
Difficile, je n'en ai pas en particulier. Je m’intéresse en ce moment à la démarche de dach&zephir qui traite de l’histoire des Antilles et de la mémoire culturelle mais aussi à celle des frères Campana, designers Brésilien dont le travail est basé sur le détournement de produits artisanaux locaux. Le travail de Ron Arad qui combine création industrielle et travail artisanal a notamment motivé (entre autre) mon choix de passer d’un cursus design à un cursus artisanal. Dans cette lancée, j’ai aussi pas mal été sensible au travail de Marianne Brandt, qui est connue pour ses créations à l'atelier métal du Bauhaus et dont les pièces épurées respirent l’élégance et la féminité.
Un livre ou une émission à nous conseiller ?
Materiology de Daniel Kula, ma découverte des procédés industriels (illustré. Pour ma part, le visuel c'est hyper important pour comprendre). Coloration et patines des métaux de Richard Hugues et Michael Rowe. ça me donne toujours plein d'idées en termes de coloration des métaux.
Un compte Instagram qui vous inspire ?
Je n'en ai pas en particulier. Je trouve de l'inspiration dans des comptes qui traitent d'architecture et de design d'intérieur comme celui d'AD_magazine. Je m'inspire également de travaux de tatoueurs comme bisous.romeo qui bosse sur des illus minimalistes et colorées. J'aime aussi me nourrir de comptes qui décrivent l'utilisation de la couleur dans le cinéma comme colorpalette.cinema.
Une destination rêvée ?
Retourner à Madagascar. J’ai besoin de m’inspirer de mes racines, de ma culture. C’est dans ce domaine que je me sens le plus à l’aise.
02/03/2021
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