Bonjour Lucile, est-ce que tu pourrais te présenter ?
Bonjour, je m’appelle Lucile, j’ai 26 ans et je travaille comme artiste illustratrice et graveuse à Paris.
Quelle est ta pratique et depuis quand y travailles-tu ?
Une artiste que j’admire, Sophie Lecuyer se définit comme une « fabricante d’images ». J’aime beaucoup ce terme car il décrit bien selon moi ce que je fais : je crée des images grâce à la gravure, le dessin, la peinture, depuis 1 an maintenant professionnellement en freelance, et sinon depuis toujours. Une partie de mon travail s’articule autour de l’illustration, d’images et d’estampes d’Art, et une autre se rapproche davantage de l’artisanat d’Art ; je crée des objets uniques ou en très petites séries autour des procédés de l’estampe.
Comment es-tu arrivée là ?
Je me suis d’abord formée à l’école Estienne où j’ai découvert les arts appliqués et les techniques de mise en relation du texte et de l’image. J’ai ensuite expérimenté d’autres écritures visuelles aux beaux-arts de Cergy. Ces années m’ont permis de développer une solide démarche artistique, et une vision particulière et critique sur ma pratique et sur son inscription dans le monde d’aujourd’hui. J’ai ensuite travaillé 2 ans en tant qu’illustratrice et plasticienne dans une agence de création au sein de laquelle j’ai exploré la gravure sur verre et la calligraphie. De cette période je retire beaucoup d’affection pour la qualité d’un ouvrage raffiné et sans cesse perfectionné, à l’écoute de l’histoire d’un savoir-faire, du temps de sa réalisation et de la particularité de chaque objet et de la personne à laquelle il est destiné. Aujourd’hui en freelance, illustration, gravure et arts plastiques conversent et se répondent au bout de mes doigts, et je cherche en permanence à les inscrire dans le présent de projets alliant vision artistique, qualité plastique et savoir-faire.
Quels sont les outils / médiums que tu utilises ?
Je me sers beaucoup des outils de l’image imprimée, que ce soit par les procédés de gravure traditionnelle (taille douce, taille directe, monotype, gaufrage...), ou bien plus récents tels que la risographie, la sérigraphie et les outils numériques. J’aime les médiums « plastiques » en général : la peinture à l’huile, l’aquarelle et l’encre, les crayons... ceux qui m’offrent un équilibre entre une certaine précision vis à vis du rendu et du sens que je cherche à obtenir pour chaque image et la fragilité nécessaire à toute création, celle qui laisse une fenêtre ouverte vers l’imprévu.
Qu'est-ce qui définit ton œuvre ?
Ce qui m’attire dans une image c’est sa puissance. J’ai beaucoup de mal en général avec l’illustration illustrative, en tout cas ce n’est pas ma démarche. Une image peut être très simple ou épurée tout en ayant une très grande portée (esthétique, sensible, réflexive...) Je m’efforce de tirer l’illustration vers l’Art, de lui donner cette « main tendue dans l’obscurité qui veut saisir une part de grâce » comme l’écrit si bien Kafka.
Travailles-tu sur d'autres projets extérieurs ?
Parallèlement je donne des cours d’arts plastiques à des enfants. Transmettre me nourrit en permanence et le contact des enfants me permet de m’imprégner de leur imaginaire afin de mieux l’insuffler au sein de mes projets d’édition notamment.
Une création pour nous faire rentrer dans ton univers ?
« Antigone », une peinture réalisée cette année, d’après la réécriture de Jean Anouilh que je ne finis pas de relire. Ce qui m’intéresse avec les mythes c’est ce qu’ils véhiculent de personnel de façon universelle. Chacun peut trouver une part d’Antigone en soi, et je pense qu’à travers un regard d’artiste une personne peut devenir personnage, et ce qui touche à l’intime archétypal. C’est ce que font les tragédies et les mythes finalement ; ils nous renseignent sur nos tréfonds, nos limites face à l’adversité, et comment nous nous inscrivons dans cet univers. Ces thèmes de l’introspection, des horizons bouchés ou métaphysiques, des fragilités et de la grâce se retrouvent souvent dans mon travail, et je m’efforce de construire chaque image comme un micro théâtre dont je mets en scène l’histoire et les personnages.
Peux-tu nous parler de ton processus de création?
J’aime les récits. J’aime ce que créent les récits, écrits, vivants, passés, présents, imaginaires et ce qu’ils produisent et racontent de nous par dessus tout. Je pars souvent d’écrits, d’idées ou de paroles qui m’interpellent, et je cherche une façon de les exprimer par l’image. Parfois c’est l’inverse, l’image vient en premier, parce que je l’ai distinguée chez un artiste ou que j’ai remarqué autour de moi une attitude, un geste, un mot ou un regard qui m’ont interpellée.
Quelles sont tes sources d'inspiration? Comment arrives-tu à rester créative?
Globalement je crois que tout est inspirant tant qu’on s’efforce de porter sur les choses un regard et des oreilles attentives. Je passe mon temps à regarder des images et me constituer des pinacothèques pour absolument tout, chaque projet, chaque idée ou sous idée. Sur pinterest j’ai collecté plus de 1000 images (oui oui) que je réorganise ensuite en fonction du projet ou de l’aspect qui m’intéresse. La littérature, et le théâtre notamment suscitent également beaucoup d’images et de réflexions en moi.
Quels sont tes futurs projets?
Avec une de mes amies nous travaillons sur un projet de dialogue entre broderie et arts plastiques. Mystère, mystère, je ne peux pas trop en révéler mais le dévoilement devrait se faire dans le courant de l’année 2020. Et sinon en ce moment je travaille à l’élaboration d’illustrations pour le conte du Moyen Age « Le roman de Mélusine »
Selon toi quel rôle est celui d'un artiste (designer ou artisan) dans le monde d’aujourd’hui?
Selon moi le rôle des artistes et artisans est d’apporter de la valeur à travers chacune de leurs créations. Cela implique une recherche de sens (esthétique, sensible, réflexif), et une quête permanente d’une vision singulière et authentique afin que chaque pièce soit unique et pérenne. C’est aussi se positionner dans une continuité, à l’inverse des standards de production et de rentabilité d’aujourd’hui : s’inscrire de façon actuelle dans l’histoire d’un savoir-faire, dans le respect de la matière, de son environnement et des personnes qui nous entourent.
De quoi tu ne pourrais plus te passer? De l’aide de mes amis et de mes proches. Leur soutient est absolument irremplaçable. Ton Artiste (ou designer / artisan) préféré? J’admire spécialement le travail de la photographe Sally Mann qui réussit cet exploit de faire entrevoir la grâce dans le grandiose comme dans la fragilité, dans l’expression de la beauté de la Nature comme dans la vulnérabilité d’un corps qui vieillit, dans les liens qui unissent par le sang, par la terre ou par le temps . J’aimerais réussir à insuffler cette force dans mes images et dans ma pratique. Un livre ou une émission à nous conseiller? « Antigone », et « Médée » de Jean Anouilh. J’aime le théâtre, et ce que chaque personnage et les mythes nous apprennent sur nous, sur nos forces et nos fragilités. Un compte Instagram qui t’inspire? Je recommande à tous les artistes et les artisans d’écouter les podcasts sur les procédés créatifs liés à l’intelligence de la main de @the.craft.project Une destination rêvée? N’importe où tant qu’une personne aimée, à aimer ou intéressante y est présente. Et sinon, Rome, Venise, l’Italie. Je rêve d’y séjourner en résidence.
instagram: @lucenbleu
06/05/2020
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