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Charlotte Gautier van Tour




Bonjour Charlotte, est-ce que vous pourriez vous présenter? 

Bonjour, je m'appelle Charlotte Gautier Van Tour. J'ai 31ans, je suis artiste visuelle ainsi que scénographe et j'habite à Marseille.


Quelle est votre pratique?

Un des enjeux principaux que je me suis fixée pour les années à venir est d’aborder la résilience et l’écologie dans mes installations et mes scénographies. Pour cela, je développe moi-même mes propres matières biosourcées, je recycle divers matériaux et je privilégie l’économie locale tant pour ma consommation personnelle que pour ma production artistique (en achetant les pigments naturels à des producteurs du sud de la France par exemple).


Comment êtes-vous arrivés là?

J'ai toujours adoré expérimenter et faire travailler mon imaginaire. Pour moi l'art est un moyen de découvrir des choses en permanence, que cela soit de manière empirique en créant ou en me documentant sur les sujets et thématiques qui m'animent. J'ai étudié la scénographie à l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris en 2014, où j'ai poursuivi en tant qu’étudiante-chercheur dans le programme de recherche Reflective Interaction à l’EnsadLab jusqu’en 2017.




Quels sont les outils / médiums que vous utilisez? 

En ce moment je travaille beaucoup en m'alliant à des organismes vivants, par exemple des souches de Kombucha (symbiote de levures et de bactéries issues de la fermentation du thé), de la spiruline (une cyanobactérie) ou encore de l'agar-agar (une algue rouge). J'ai aussi connu toute une période où j'étais fascinée par la lumière, le verre, les encres mais toujours dans la logique de mettre en mouvement les choses, d'en montrer le caractère organique.



Qu'est-ce qui définit votre œuvre ?

Ma démarche artistique est basée sur la révélation de mondes invisibles et le dévoilement des connexions entre les écosystèmes et les êtres. Pour moi, l’art est une manière d’explorer l’interdépendance qu’il y a entre toutes choses, de confronter notre corps avec d’autres espèces et d’autres dimensions. Je considère les espèces avec qui je crée, comme des alliées ou des collaboratrices. Je suis donc très inspirée par les mouvements philosophiques qui rejettent l’idée selon laquelle il faudrait privilégier l’existence humaine au détriment des objets non- humains et qui réinterrogent le concept de Nature.


Travaillez-vous sur d'autres projets extérieurs au studio? Je crée des scénographies pour le spectacle vivant. Pour moi, cela n'est pas extérieur mais en continuité avec ma pratique de plasticienne. Je travaille en effet avec des compagnies de théâtre, de danse ou encore des ensembles musicaux.  La dimension collaborative du spectacle vivant est très complémentaire avec le travail plus solitaire en atelier.

Une création pour nous faire rentrer dans votre univers? Je voudrais vous parler d'une création de début 2020 qui se nomme Top view (earth archive) et qui est assez révélatrice de ce que je souhaite transmettre. C'était une installation in-situ éphémère : une sphère de 4 m de diamètre au sol, composée d'agar-agar, de spiruline, et de pigments naturels. Une planète colorée et brillante aux premières heures qui petit à petit se craquelait. Top View (earth archive) était une œuvre évolutive et entièrement biodégradable évoquant la fragilité de notre écosystème mais aussi la force et la résilience du vivant. L’eau s’évaporant de la gelée d'algue transformait celle-ci en une fine pellicule rappelant des feuilles mortes. Son craquèlement était perceptible par l’ouïe. On pouvait parfois entendre un subtil bruissement quand les fragments se détachaient les uns des autres. En laissant interagir la matière organique avec son environnement proche (humidité, type de sol, température) mon processus de création se rapprochait de la permaculture et affirmait la volonté de laisser faire la nature, de l’observer et de l’accompagner plutôt que de la contraindre.






Pouvez-vous nous parler de votre processus de création?

Les formes que je crée sont organiques et découlent de gestes qui laissent une grande place au hasard et à l'observation. Mon atelier est un mélange entre cuisine et laboratoire, on y trouve des casseroles, des balances, des pots, des éprouvettes, des expériences archivées, des cuves, des liquides, des membranes, des cailloux, des végétaux séchés. C'est souvent la matière qui me guide.






Quelles sont vos sources d'inspiration? Comment arrivez-vous à rester créatifs? J'aime me relier aux éléments et à ce que l'on nomme "Nature" par la marche, la nage, le vent, les odeurs, les bruits. Observer et tenter de comprendre les mystères des vivants (végétaux, animaux, humains) m'inspire toujours, que cela soit de manière directe et sensible ou via des sources plus théoriques telles que les documentaires ou les livres.


Quels sont vos futurs projets? Je suis en train de monter un projet qui formule l’idée d’un devenir symbiotique des êtres et de leur environnement comme futur désirable et comme acte de résistance. L'autre défi de ce projet est celui de montrer au monde de l’art que l’on peut créer des oeuvres durables et pérennes en travaillant à partir de matériaux respectueux de l’environnement, dans un esprit de frugalité, mais aussi d’innovation (inventer des nouvelles matières biosourcées avec des ingénieurs et des producteurs locaux). Les oeuvres inviteraient à une reconnexion spirituelle et sensible avec la Terre, ainsi qu'avec l’écosystème que représente notre propre corps.


Selon vous quel rôle est celui d'un artiste dans le monde d’aujourd’hui?

L'artiste ou l'artisan.e utilise des médiums. Il est aussi en quelque sorte un.e médium qui perçoit des intensités, des informations, des éléments du monde qui l'entoure et qui les retranscrit avec son langage.  Selon moi, l'artiste doit déplacer les endroits de certitudes, interroger, dévoiler, émouvoir ou émerveiller, voir déranger. "Créer du mouvement à l'intérieur, là où ça pense, là où ça vibre." Venir chatouiller les sensibilités.

Un livre ou une émission à nous conseiller?

Manières d'être vivant, de Baptiste Morizot, livre génial et nécessaire. 


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19/10/2020


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