Bonjour, Arthur-Donald est-ce que vous pourriez vous présenter ?
Je m’appelle Arthur-Donald Bouillé. J’ai 30 ans. Je suis designer, je vis et travail à Paris.
Quelle est votre pratique et depuis quand y travaillez-vous?
Je travaille en tant que designer industriel depuis février 2020 au sein de l’agence de Recherche et d’Innovation Big Bang Project, spécialisée dans la conception de produits et scénarios bio-inspirés. Et je développe en parallèle depuis plusieurs années un travail personnel plus exploratoire de recherche et de création.
Comment êtes-vous arrivés là?
Mon travail est très lié à une expérience pluridisciplinaire que j’ai vécue en 2017, lors du prolongement de mes études à Ecole Nationale Supérieure de Création Industrielle (ENSCI-Les Ateliers) à Paris. J’ai eu la chance de participer dans le cadre de mon cursus à un concours international organisé par le MIT de Boston sur l’usage de la biologie de synthèse. Les questions éthiques relatives à l’utilisation d’une biotechnologie qui façonne le vivant et l’approche transdisciplinaire du projet ont bouleversé ma manière de comprendre le design et son rôle.
Quels sont les outils / médiums que vous utilisez?
Ma pratique de création est très enracinée dans une démarche de recherche. La fiction y occupe une place essentielle. Elle est comme un magma, un bouillon de cuisine qui m’aide à faire émerger des réflexions pour les prolonger dans des approches plastiques et formelles au travers du dessin sur papier ou sur des logiciels 3D.
Qu'est-ce qui définit votre œuvre ?
La frontière, l’entre-deux, la lisière sont des notions clé que j’explore au travers des manières de considérer et de percevoir les limites entre vivant et non-vivant, humain et non-humain. L’usage de la fiction y trouve une place particulièrement importante pour dépasser des modes de perception tout en interrogeant le point de basculement d’une matière, d’un objet dont le statut oscille de l’inerte au vivant.
Une création pour nous faire rentrer dans votre univers?
" Expérience de panser " est projet qui cristallise à la fois mon processus de création et mon intérêt pour les frontières du Vivant, et les notions de Care, de soin, de médiation. Il est composé d’une série de trois objets transitionnels pour des personnes atteintes du cancer du sein, du cerveau ou du poumon. Chacun d’eux propose de cultiver des relations thérapeutiques dont les interactions par la parole, le contact avec la matière ou encore l’écriture constituent des pratiques de médiation avec le cancer. Les objets sont donc des intermédiaires, des supports de communication entre une perception humaine et les micro-mondes, les êtres invisibles qui peuplent le corps humain.
Pouvez-vous nous parler de votre processus de création?
La fiction y est centrale. Elle constitue une zone de dialogue entre des lectures et des recherches théoriques, et des productions plastiques. C’est pour moi une façon d’élargir mes recherches à des outils inhabituels au Design. Comment ressentir et percevoir un objet, le changement d’état d’une matière, son caractère vivant, dans un ou une série de mots ? Comment un texte peut-il donner corps à un objet tout en laissant de l’ouverture dans l’imaginaire ? L’écriture est devenue un élément essentiel pour déployer une forme de traduction et d’interprétation plastique. La recherche par le dessin et les logiciels de 3D se greffe ou se détache de l’écriture et me donne un second niveau d’imaginaire dans lequel je fixe et j’installe des composants, une sorte de cahier des charges formel. Il m’accompagne pour transcrire et concevoir des scénarios, des usages dans des contextes et des situations réelles.
Quelles sont vos sources d'inspiration? Comment arrivez-vous à rester créatifs? Mes inspirations sont un aggloméré de matières aux identités et aux origines multiples. Elles sont issues de lectures de biologistes, de philosophes et d’anthropologues comme Donna Haraway, Emmanuele Coccia ou Edouardo Kohn, qui nourrissent mes réflexions et se conjuguent à ma fascination pour la diversité des visages et des comportements du Vivant.
Selon vous quel rôle est celui d'un artiste (designer ou artisan) dans le monde d’aujourd’hui?
Il me semble que le designer doit tendre à améliorer l’habitabilité du monde, en prenant en compte toute la diversité des êtres et des milieux que cela suggère. En ce sens, le designer ne doit pas seulement répondre à des besoins humains, dessiner et produire des objets pour l’humain. Il doit tenter de prendre la position d’un médiateur entre les disciplines, entre l’humain et le non-humain et questionner les usages, participer à ouvrir le regard sur l’autre, sur les interstices.
Un livre ou une émission à nous conseiller?
« Comment pensent les forêts. Une anthropologie au-delà de l’humain. » de Edouardo Kohn. Un livre qui ouvre notre pensée à des mondes autre qu’humain mais avec lesquels notre capacité à interagir à tout autant d’importance sur eux que sur le notre. Et sans oublier la pensée tentaculaire et spéculative de Donna Haraway avec le « Manifeste Cyborg » ou « Vivre avec le trouble ».
Votre Artiste (ou designer / artisan) préféré?
Je crois qu’il se situerait entre la démarche d’Ettore Sotsass et celle de Dunne & Raby dont la l’usage de scénarios spéculatifs interroge sur nos pratiques quotidiennes, sur nos manières d’appréhender le monde, les technologies et leurs usage.
Une destination rêvée ?
La forêt amazonienne, pour toute la diversité des espèces, des peuples, des cultures qu’elle représente. Pour toute la fragilité et l’importance qu’elle a pour eux, pour les non-humains, pour leurs habitants et pour Nous.
29/09/2020
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